vendredi 11 octobre 2013

Weird Science


C'est la Fête de la Science ! Depuis mercredi la science et la recherche sont fêtées à travers tout le pays ! Les événements s’enchaînent ! Les prix Nobel pleuvent ! Les expositions et les conférences s'alternent sur un rythme intarissable ! Partout chercheuses et chercheurs sont célébrés et se voient offrir fleurs et cadeaux par des citoyens inconnus mais néanmoins reconnaissants, et le pays entier prend conscience de l'importance de la science et de la recherche dans notre société !

Ou en tout cas, on aimerait que ça se passe comme ça (surtout pour les fleurs, on n'offre jamais assez de fleurs aux scientifiques).

Le fait est qu'alors que notre pays fête la recherche et la science cette semaine, il peut être de bon ton de se demander, ou de se rappeler, ce que sont science et recherche. Parce que comme pour beaucoup de sujets, nous avons parfois tendance à beaucoup en parler sans vraiment les définir, ou en tapant à coté. Voici donc un petit billet Fête de la Science pour aider à démêler toutes ces notions.

Pour commencer, une première révélation : la science, ce n'est pas l'innovation.

C'est embêtant parce que ce terme d'innovation, on l'entend partout ces dernières années, surtout dans les discours politiques. Nos universités sont innovantes. Nos entreprises sont innovantes. Notre gouvernement finance des projets innovants. L'innovation va nous sortir de la crise. L'innovation va relancer la compétitivité. L'innovation va hisser nos universités dans le haut des classements internationaux. L'innovation va apporter la richesse, la paix, et le retour de l'être aimé.

Outre le fait que, commel'a bien expliqué Alexandre Delaigue, l'innovation n'implique pas forcément un avantage économique notable, il est inquiétant de voir la classe politique toute entière s’engouffrer dans ce qui est indéniablement une vision étroite et limitée de ce que sont la science et la recherche, en les réduisant toutes deux à leur seul aspect industrialisable. L'innovation, c'est la vision la plus applicative de la recherche, c'est la partie directement réutilisable sous forme de progrès technique, de nouveau produit, d'amélioration de la productivité. C'est certainement quelque chose de positif, mais ce n'est qu'un produit secondaire de la recherche, pas son objet direct.
Cette restriction de sens n'est pas anodine, elle est malheureusement symptomatique d'une classe politique qui a souvent beaucoup de mal à appréhender ce qu'est la recherche (rien à voir bien entendu avec le fait que cette classe politique soit essentiellement issue de « grandes » écoles et compte peu de personnalités ayant eu l'occasion de se frotter véritablement à la recherche pendant leurs jeunes années). C'est un peu comme si d'un coup l'éducation nationale se trouvait réduite à la question de la formation professionnelle : ça en fait partie, il ne faut pas le perdre de vue, mais ce n'est pas tout, et la restriction de sens conduit inévitablement à des choix politiques que l'on peut trouver très contestables.

Donc la science c'est quoi ?

C'est simple, la science, c'est la connaissance.
(d'ailleurs science vient du latin scientia, qui se traduit par connaissance, c'est simple je vous dis)

La science représente notre connaissance du monde, dans tous ses aspects. C'est la somme de tout ce que nous savons collectivement, qu'il s'agisse de science naturelle, technique, humaine, inhumaine, sociale, juridique, etc. La science est un ensemble vaste, très vaste, que nous avons tendance à découper en disciplines afin d'en faciliter la compréhension et la diffusion (mais passé un certain niveau on réalise bien vite que les frontières des disciplines sont souvent imparfaites et parfois superflues). La science n'est pas un dogme, une opinion ou une idéologie, mais bien un ensemble de faits, observés et observables, et d'explications, étudiées et éprouvées par des milliards d'individus depuis plusieurs dizaines de milliers d'années. Cette connaissance apporte parfois son lot de progrès technologique, ou humain, mais ce n'est pas automatique. Il arrive parfois que des années s'écoulent avant qu'une connaissance donnée soit appliquée de façon à générer un produit innovant, ou que certaines connaissances n'aient aucune mise en application « concrète ». Mais chaque connaissance nous apporte un peu plus de compréhension sur l'état et le fonctionnement de l'univers dans lequel nous vivons.
En rapport à cela, la recherche n'est pas juste la conception de nouveaux process industriels ou produits, mais la création (ou parfois l'exhumation) de connaissance. C'est un processus par lequel on alimente la science de connaissances nouvelles, vérifiées et étayées, diffusables à toutes et tous. Bien entendu cette connaissance nouvelle peut trouver des applications créatives qui feront le bonheur de certains et la fortune d'autres. Le progrès scientifique se traduit globalement par un progrès économique et sociétal. Mais même en dehors de ces applications, chaque connaissance créée est une richesse en soi que nous partageons librement. Le soucis étant qu'il est généralement extrêmement difficile de chiffrer la valeur d'une connaissance (même si certains partis en mal d'idées veulent privatiser cette fameuse « économie de la connaissance », comme si restreindre l'éducation à ceux qui ont des moyens financiers allait améliorer l'état du pays), surtout au moment où elle apparaît. Cette difficulté d'estimation est entre autres ce qui contribue, surtout en période de crise, à inciter les instances qui nous financent et dirigent, à se focaliser uniquement sur les aspects les plus immédiatement monétisables de la recherche, ceux dont les retombées financières sont les plus directes.

Et cette connaissance, même si elle est par nature insaisissable et immatérielle, possède un cycle de vie. Un élément de connaissance « naît » (quand il est découvert), vit, se répand, évolue (quand il est précisé, remanié, raffiné ou parfois même réfuté par d'autres scientifiques) et parfois meurt (s'il ne reste plus personne pour s'en souvenir, ni de support pour le conserver et le transmettre). Il est donc important, pour que la connaissance vive, qu'elle soit partagée, au maximum. Le pire qui puisse arriver à la recherche mondiale serait que ses résultats ne circulent que dans une poignée d'initiés, ceux qui font la recherche et échangent entre eux présentations et articles scientifiques.
C'est d'ailleurs là que nous retrouvons l'un des buts premiers de l'université : créer et diffuser la connaissance. Le rôle des enseignants-chercheurs n'est pas tant de trouver des financements de projets et établir des statistiques d'insertion professionnelle que de créer de la connaissance (par la recherche) et la diffuser (par l'enseignement). Ce faisant, ils assurent que les connaissances nouvelles issues de la recherche seront transmises à des générations d'étudiants, qui pourront les mettre en application ou les transmettre à leur tour. Et parmi ces étudiants s'en trouveront qui se baseront sur les connaissances ainsi acquises pour créer de nouvelles connaissances, les diffuser, et alimenter ainsi le cycle.
Il est par conséquent inquiétant de voir que trop souvent nos universités récompensent mal les missions d'enseignement, en faisant trop souvent un « mal nécessaire » à évacuer vite fait pour pouvoir se consacrer pleinement à la recherche. Il est inquiétant aussi de voir des établissements d'enseignement supérieur n'avoir aucun lien avec la recherche, se contentant de faire de la formation « scolaire » et « professionnelle » en accusant parfois des années de retard sur les états de l'art des domaines enseignés. Tout comme il est inquiétant de voir des laboratoires entiers se monter dans des structures qui ne participent pas à l'enseignement universitaire, et donc créent de la connaissance, mais ne la diffusent pas, ou trop peu. Il est indispensable pour que la science vive de la partager au maximum, et aussi de former les jeunes générations à la pensée scientifique. Trop souvent à présent nous voyons arriver des étudiants qui confondent connaissance, opinions, idéologies, points de vue et dogmes. Et plus nous séparerons les activités d'enseignement et de recherche, plus nous tenterons de faire des études supérieures une simple phase de formation technique et professionnelle (comme si l’université était responsable de la crise et du chômage), moins nous serons efficaces dans ce qui touche à la création et diffusion de connaissance nouvelle et d'une véritable pensée scientifique.

Donc en cette période de Fête de la Science, ne perdons pas de vue ce que nous fêtons. Nous ne fêtons pas de grandes personnalités qui ont fait avancer l'humanité, nous ne fêtons les derniers prototypes d'objets innovants qui vont envahir notre quotidien, nous ne fêtons pas des expériences très démonstratives mais qui ont parfois pour le public l'allure de tours de magie. Nous fêtons l'idée de connaître et comprendre le monde dans lequel nous vivons, et de le découvrir chaque jour un peu plus.

Bonne fête.

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