C'est la Fête de la
Science ! Depuis mercredi la science et la recherche sont fêtées
à travers tout le pays ! Les événements s’enchaînent !
Les prix Nobel pleuvent ! Les expositions et les conférences
s'alternent sur un rythme intarissable ! Partout chercheuses et
chercheurs sont célébrés et se voient offrir fleurs et cadeaux par des
citoyens inconnus mais néanmoins reconnaissants, et le pays entier
prend conscience de l'importance de la science et de la recherche
dans notre société !
Ou en tout cas, on
aimerait que ça se passe comme ça (surtout pour les fleurs, on
n'offre jamais assez de fleurs aux scientifiques).
Le fait est qu'alors que
notre pays fête la recherche et la science cette semaine, il peut
être de bon ton de se demander, ou de se rappeler, ce que sont
science et recherche. Parce que comme pour beaucoup de sujets, nous
avons parfois tendance à beaucoup en parler sans vraiment les
définir, ou en tapant à coté. Voici donc un petit billet Fête de
la Science pour aider à démêler toutes ces notions.
Pour commencer, une
première révélation : la science, ce n'est pas l'innovation.
C'est embêtant parce que
ce terme d'innovation, on l'entend partout ces dernières années,
surtout dans les discours politiques. Nos universités sont
innovantes. Nos entreprises sont innovantes. Notre gouvernement
finance des projets innovants. L'innovation va nous sortir de la
crise. L'innovation va relancer la compétitivité. L'innovation va
hisser nos universités dans le haut des classements internationaux.
L'innovation va apporter la richesse, la paix, et le retour de l'être
aimé.
Outre le fait que, commel'a bien expliqué Alexandre Delaigue, l'innovation n'implique pas
forcément un avantage économique notable, il est inquiétant de
voir la classe politique toute entière s’engouffrer dans ce qui
est indéniablement une vision étroite et limitée de ce que sont la
science et la recherche, en les réduisant toutes deux à leur seul
aspect industrialisable. L'innovation, c'est la vision la plus
applicative de la recherche, c'est la partie directement réutilisable
sous forme de progrès technique, de nouveau produit, d'amélioration
de la productivité. C'est certainement quelque chose de positif,
mais ce n'est qu'un produit secondaire de la recherche, pas son objet
direct.
Cette restriction de sens
n'est pas anodine, elle est malheureusement symptomatique d'une
classe politique qui a souvent beaucoup de mal à appréhender ce
qu'est la recherche (rien à voir bien entendu avec le fait que cette
classe politique soit essentiellement issue de « grandes »
écoles et compte peu de personnalités ayant eu l'occasion de se
frotter véritablement à la recherche pendant leurs jeunes années).
C'est un peu comme si d'un coup l'éducation nationale se trouvait
réduite à la question de la formation professionnelle : ça en
fait partie, il ne faut pas le perdre de vue, mais ce n'est pas tout, et la restriction de sens
conduit inévitablement à des choix politiques que l'on peut trouver
très contestables.
Donc la science c'est
quoi ?
C'est simple, la science,
c'est la connaissance.
(d'ailleurs science vient
du latin scientia, qui se traduit par connaissance, c'est
simple je vous dis)
La science représente
notre connaissance du monde, dans tous ses aspects. C'est la somme de
tout ce que nous savons collectivement, qu'il s'agisse de science
naturelle, technique, humaine, inhumaine, sociale, juridique, etc. La
science est un ensemble vaste, très vaste, que nous avons tendance à
découper en disciplines afin d'en faciliter la compréhension et la
diffusion (mais passé un certain niveau on réalise bien vite que
les frontières des disciplines sont souvent imparfaites et parfois
superflues). La science n'est pas un dogme, une opinion ou une
idéologie, mais bien un ensemble de faits, observés et observables,
et d'explications, étudiées et éprouvées par des milliards
d'individus depuis plusieurs dizaines de milliers d'années. Cette
connaissance apporte parfois son lot de progrès technologique, ou
humain, mais ce n'est pas automatique. Il arrive parfois que des
années s'écoulent avant qu'une connaissance donnée soit appliquée
de façon à générer un produit innovant, ou que certaines
connaissances n'aient aucune mise en application « concrète ».
Mais chaque connaissance nous apporte un peu plus de compréhension
sur l'état et le fonctionnement de l'univers dans lequel nous
vivons.
En rapport à cela, la
recherche n'est pas juste la conception de nouveaux process
industriels ou produits, mais la création (ou parfois l'exhumation)
de connaissance. C'est un processus par lequel on alimente la science
de connaissances nouvelles, vérifiées et étayées, diffusables à
toutes et tous. Bien entendu cette connaissance nouvelle peut trouver
des applications créatives qui feront le bonheur de certains et la
fortune d'autres. Le progrès scientifique se traduit globalement par
un progrès économique et sociétal. Mais même en dehors de ces
applications, chaque connaissance créée est une richesse en soi que
nous partageons librement. Le soucis étant qu'il est généralement
extrêmement difficile de chiffrer la valeur d'une connaissance (même
si certains partis en mal d'idées veulent privatiser cette fameuse
« économie de la connaissance », comme si restreindre
l'éducation à ceux qui ont des moyens financiers allait améliorer
l'état du pays), surtout au moment où elle apparaît. Cette
difficulté d'estimation est entre autres ce qui contribue, surtout
en période de crise, à inciter les instances qui nous financent et
dirigent, à se focaliser uniquement sur les aspects les plus
immédiatement monétisables de la recherche, ceux dont les retombées
financières sont les plus directes.
Et cette connaissance,
même si elle est par nature insaisissable et immatérielle, possède
un cycle de vie. Un élément de connaissance « naît »
(quand il est découvert), vit, se répand, évolue (quand il est
précisé, remanié, raffiné ou parfois même réfuté par d'autres
scientifiques) et parfois meurt (s'il ne reste plus personne pour
s'en souvenir, ni de support pour le conserver et le transmettre). Il
est donc important, pour que la connaissance vive, qu'elle soit
partagée, au maximum. Le pire qui puisse arriver à la recherche
mondiale serait que ses résultats ne circulent que dans une poignée
d'initiés, ceux qui font la recherche et échangent entre eux
présentations et articles scientifiques.
C'est d'ailleurs là que
nous retrouvons l'un des buts premiers de l'université : créer
et diffuser la connaissance. Le rôle des
enseignants-chercheurs n'est pas tant de trouver des financements de
projets et établir des statistiques d'insertion professionnelle que
de créer de la connaissance (par la recherche) et la diffuser (par
l'enseignement). Ce faisant, ils assurent que les connaissances
nouvelles issues de la recherche seront transmises à des générations
d'étudiants, qui pourront les mettre en application ou les
transmettre à leur tour. Et parmi ces étudiants s'en trouveront qui
se baseront sur les connaissances ainsi acquises pour créer de
nouvelles connaissances, les diffuser, et alimenter ainsi le cycle.
Il est par conséquent
inquiétant de voir que trop souvent nos universités récompensent
mal les missions d'enseignement, en faisant trop souvent un « mal
nécessaire » à évacuer vite fait pour pouvoir se consacrer
pleinement à la recherche. Il est inquiétant aussi de voir des
établissements d'enseignement supérieur n'avoir aucun lien avec la
recherche, se contentant de faire de la formation « scolaire »
et « professionnelle » en accusant parfois des années de
retard sur les états de l'art des domaines enseignés. Tout comme il
est inquiétant de voir des laboratoires entiers se monter dans des
structures qui ne participent pas à l'enseignement universitaire, et
donc créent de la connaissance, mais ne la diffusent pas, ou trop
peu. Il est indispensable pour que la science vive de la partager au
maximum, et aussi de former les jeunes générations à la pensée
scientifique. Trop souvent à présent nous voyons arriver des
étudiants qui confondent connaissance, opinions, idéologies, points
de vue et dogmes. Et plus nous séparerons les activités
d'enseignement et de recherche, plus nous tenterons de faire des
études supérieures une simple phase de formation technique et
professionnelle (comme si l’université était responsable de la
crise et du chômage), moins nous serons efficaces dans ce qui touche
à la création et diffusion de connaissance nouvelle et d'une
véritable pensée scientifique.
Donc en cette période de
Fête de la Science, ne perdons pas de vue ce que nous fêtons. Nous
ne fêtons pas de grandes personnalités qui ont fait avancer
l'humanité, nous ne fêtons les derniers prototypes d'objets
innovants qui vont envahir notre quotidien, nous ne fêtons pas des
expériences très démonstratives mais qui ont parfois pour le
public l'allure de tours de magie. Nous fêtons l'idée de connaître
et comprendre le monde dans lequel nous vivons, et de le découvrir
chaque jour un peu plus.
Bonne fête.
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