vendredi 5 avril 2013

La Grande Question sur la Vie, l'Univers et le Reste

Alors que la poussière retombe, comme elle sait si bien le faire, et que les premières évaluations en ligne fusent, l'école 42, nouvelle invention de Xavier Niel et Nicolas Sadirac, commence à prendre sa place et préparer son contingent de rentrée. Mais, si l'on peine à trouver dans la presse des voix divergentes sur le bien-fondé et la qualité déjà reconnue d'une école qui n'a pas encore ouvert, celle-ci n'a pas encore fini de soulever quelques questions. Et comme si son nom l'y destinait, elle soulève entre autres des questions de chiffres. J'avais déjà donné la semaine dernière une première réaction « à chaud » sur ce que m'avait inspiré l'annonce du projet. Cette fois-ci je m'interroge surtout sur certains faits et chiffres annoncés.

Parce que que sait-on, à l'heure actuelle de cette école, en terme d'indicateurs chiffrés ? Selon les sources et les présentations, elle est soit destinée à accueillir 1000 étudiants au total, soit à en accepter 1000 nouveaux par an, ce qui n'est pas du tout la même chose. Les versions variant selon les présentations, il peut convenir de creuser un peu, et de chercher ce qu'il en est. Vous verrez, vous ne serez pas déçus de ce qu'on peut trouver.
Nos seules informations fiables sont quelques indicateurs : l'école sera hébergée dans des locaux d'une surface de 4242m² (le fameux Heart of Code) et les coûts de fonctionnement sont estimés à 50 millions d'euros pour les 10 premières années. C'est à l'aune de ces informations que nous pouvons étudier les deux grandes hypothèses.

La première est que l'école a vocation à accueillir 1000 nouveaux étudiants par an et à les conduire au terme de la formation. C'est par exemple ce qui a probablement poussé le dirigeant d'Ametix à annoncer qu'il faisait une proposition d'embauche ferme aux 1000 premiers diplômés de l'école (proposition qui pour être tenue impliquerait que sa société connaisse une croissance d'environ 9000% en 5 ans, mais bon, dans le monde magique de l'informatique, tout est possible).
Si cette hypothèse tient, alors elle implique que pendant les 5 premières années l'école va « monter en charge » (oui, moi aussi je sais reprendre des termes techniques dans le texte pour mieux cibler mon public) pour atteindre un effectif total de 5000 étudiants (version utopiste, il y aura forcément de l'évaporation, même si elle reste pour l'instant impossible à estimer). Un tel effectif impliquerait donc que sur les 10 premières années, l'école connaisse un effectif cumulé de 40000 étudiants (le temps de la montée en charge).
Avec cette estimation, cela conduirait à calculer que d'une part, en rythme de croisière, la superficie de l'établissement sera d'environ 0,85m² par étudiant (4242/5000), ce qui est peu, convenons-en, et sera probablement un peu moins, vu qu'il faudra aussi intégrer de l'espace pour les enseignants et le personnel de l'école (à moins que l'entretien ne soit assuré par des Roombas, voila qui serait innovant). A ce niveau-là, il va falloir rajouter beaucoup de monde sur les magnifiques vues des futurs locaux pour donner une impression réaliste de ce que sera la vie dans l'établissement. D'autre part, cela permet d'estimer la dépense par étudiant à 1250€ par étudiant (50 millions / 40000), ce qui pour le coup impliquerait que 42 serait certainement la formation supérieure la moins coûteuse du pays (pour information, le budget par étudiant et par an d'une université comme Paris VIII est d'environ 5000€) et que du coup, Xavier Niel ne tient pas seulement une recette pour révolutionner l'informatique, mais aussi pour sauver le budget de l’État, et qu'il a oublié de nous le dire. Clairement, à la vue de ces chiffres, l'hypothèse d'un établissement de pointe sortant 1000 nouveaux « diplômés » chaque année semble peu réaliste. Ou alors les étudiants vont vraiment profiter du caractère « ouverture 24h/24 » de l'école pour organiser des roulements dans les salles machines, ce serait pour le coup une application des trois-huit très « professionnalisante » (ou appliquer des règles de vie dignes d'un équipage de sous-marin).

L'autre hypothèse serait que l'établissement n'est voué qu'à un effectif total de 1000 étudiants, pas plus. Cette version semble corroborée par l'annonce par Xavier Niel lui-même Florian Bucher (le directeur technique de l'école) lors de la conférence de presse lançant le projet (à 22min50s) que l'établissement sera équipé de « un parc informatique de plus de 1000 postes [...] 1 étudiant , 1 poste» et est donc relativement tangible. Elle apparaît également plus cohérente si l'on regarde à nouveau budget et superficie. Cela ramène en effet la superficie à 4,242m² par étudiant (de quoi respirer un peu plus, ou en tout cas éviter de travailler debout en tenant son ordinateur à bout de bras), et le budget de fonctionnement à 5000€ par étudiant, ce qui semble plus dans la norme des coûts de fonctionnement d'un établissement appliquant une pédagogie « par projets » (surtout en démarrant l'exercice avec un matériel et des locaux flambant neufs). Mais cette hypothèse-là présente un souci : c'est que dans les faits l'école va bien accueillir 1000 nouveaux étudiants à la rentrée 2013 (sélectionnés parmi 4000 qui participeront aux formations « piscine » de cet été).

Que va-t-il donc se passer dans un an ? Si l'effectif se maintient à 1000 étudiants, il n'y aura alors pas de place pour de nouveaux venus. Cela donnerait donc une école formant un contingent de 1000 personnes, en ouvrant ses portes une fois tous les 5 ans. Ça a un coté très « école d'élite ultra prestigieuse » mais semble complètement décorrélé des besoins des employeurs qui vont avoir besoin d'un flot continu de nouveaux développeurs, pas d'un lot quinquennal.
Donc pour assurer un flux continu, sans augmenter l'effectif total de l'établissement, il n'y aura qu'un moyen : miser sur les départs. Qu'ils soient volontaires (abandons, réorientations) ou forcés (personne n'a dit que l'école autoriserait le redoublement en fin d'année si un étudiant ne donne pas satisfaction). Il n'est donc pas impossible qu'à l'approche de l'été 2014, un grand nombre d'étudiants de cette école se retrouvent à faire leur valise après avoir manqué (par motivation personnelle ou par manque de niveau) leur première année. Après tout, le meilleur moyen de sélectionner et former des « génies », c'est encore de brasser large au départ et de ne garder que les pépites. Et puis qui pourra se plaindre ? L'école est entièrement gratuite, elle ne doit rien à ses étudiants, à aucun moment.
Ces étudiants (qui risquent au final de représenter une quantité non négligeable) se retrouveront donc au bout d'un an, avec une formation intensive mais non validée, des compétences imparfaites, et aucun mécanisme d'équivalence qui leur permette de valoriser leur année dans un autre établissement. Retour à la case Bac+0 (pour ceux qui auront passé leur bac avant de venir, les non-bacheliers pour le coup ne risquent effectivement rien), chose embêtante en fin de première année, plus difficile à supporter si on se fait éjecter à l'approche de la fin de cursus.

Bien entendu je n'affirme pas que c'est ce qui va arriver. Dans l'absolu nous ne savons pas, et certaines choses restent floues. Je pense qu'il serait toutefois bon, pour tous les candidats qui vont passer les sélections de cet été, de savoir à quoi s'en tenir sur cette question. Combien peuvent espérer passer en 2° année ? Valider le cursus court en 3 ans ? Combien arriveront au bout des 5 ans de formation sur la totalité des entrants ? Qu'adviendra-t-il des perspectives de ceux qui n'arrivent pas au bout ? Un choix d'orientation aussi marqué que celui-là (parce que la formation sera exigeante, c'est certain, et parce qu'elle ne permet pas de réorientation dans des cursus autres) mérite au moins d'être étayé par des informations claires, et pas de jolies promesses.

Maintenant il se peut que j'aie raté certaines informations sur le sujet, ou que j'aie mal lu certains chiffres. Si quelqu'un ayant plus d'informations sur le sujet passe par ici et peut fournir des éclaircissements, je serai ravi de les intégrer dans la réflexion.

Et comme je l'ai conclu dans mon précédent billet, de toute façon, nous jugerons sur pièce. Je préférerais juste éviter que dans le compte ce soient les étudiants qui servent de variable d'ajustement.

NB : mise à jour rapide en temps réel :
J'ai demandé à Nicolas Sadirac directement par twitter, qui vient de confirmer l'hypothèse "1000 étudiants par promotion". Ce n'est donc pas une formation en piscine, mais bien en sous-marin qui se profile.